Cinquième jour : Cotonou-Fazao Line m'apporte une bouteille d'eau minérale. Elle est serveuse. Je dis : - C'est quoi ce que vous avez sur le visage? - Ce sont des cicatrices raciales. - On vous a fait ça quand vous aviez quel âge? - Trois mois; en hommage au python, qu'ici nous adorons. Je vais dans la chambre de Dedevi pour me faire soigner une ampoule. Dedevi est le médecin de l'équipe, togolaise. Toutou boucle ses bagages, se coiffe. Je lui parle en attendant la valise de médicaments. Elle a suivi ses études de notaire en France; son père est directeur du casino de Lomé. Il n'y a qu'une seule femme notaire au Togo, et quatre notaires en tout. Elle dit : -Quand je suis revenue de France, je me suis rendu compte que ce n'était pas très costaud, ce que je ne savais pas. - Qu'est-ce qui diffère ? - Le droit coutumier. - On achète des charges de notaire ici aussi ? - Oui. C'est cher, mais beaucoup moins qu'en France. Ses parents vont l'aider. Nous nous arrêtons près d'une Maison des jeunes et de la culture. J'entre. Il y a une tombola. Dans des stands, des savonnettes à caractères cyrilliques viennent droit de Moscou. J'achète dans un autre stand : 1. L'inspecteur a toujours raison : écrit par une Russe, et traduit en français. On y apprend comment les syndicats soviétiques protègent les intérêts des travailleurs. 2. Huit cents coups de fouet aux Éditions Beijing. Il s'agit (sic) d'une histoire très répandue parmi le peuple chinois, dénonçant l'ignorance et l'avidité des dominateurs féodaux. Petit Liang découvrit dans un champ un pivert d'or. Son maître l'accusant de l'avoir volé, il déclara vouloir le remettre à l'empereur. Il se mit en route. Chacun pour le laisser passer voulait recevoir une part de la récompense. Petit Liang leur promit de partager. Ce qu'il demanda : huit cents coups de fouet; chacun en reçut sa part. Nous filons à travers le Bénin, régulièrement traversé par les banderoles rouges du parti d'avant-garde marxiste léniniste : - « En avant pour l'exécution des tâches permanentes. » - « Pour ta santé, ta dignité, exige la propreté partout. » - « Le socialisme scientifique, notre voie de développement. » Le nom des villages est de plus en plus beau : Avakodja, Kokote, Atikpai, Sokoda, Lama Kara, Atokora. Je change de voiture. Je vais avec Felicia, Ghana. En marchant dans la savane, je croise Fatimé. Elle dit : - Alors Else, tu nous as abandonnées. Il faut revenir avec nous. Elle était muette depuis le début du voyage. A l'avant du véhicule des Ghanéennes, il y a Marilyn qui travaille à Accra dans une entreprise de pétrole et une Canadienne. Quand elle conduit, Marilyn n'arrête pas de rouspéter - les motifs sont illimités : elle n'a pas assez d'argent, elle déteste une des Africaines qui change de robe tous les jours, elle voudrait qu'on parte plus tôt le matin, etc. Quand elle ne conduit pas, elle se plonge dans Celebrity, écrit par le célèbre auteur de Sang, Argent et Serpentine. Felicia m'apprend une prière en gan : Mi Niomo Hi (quatre fois) e hi ha me - Passe-moi ça. - Qu'est-ce que c'est? J'avais les pieds posés sur sa Bible. Elle la remet dans la boîte à gants. Il faut toute la grâce du Seigneur pour que nous arrivions entières à Fazao, hôtel planté au milieu de nulle part. Nous avons fait des kilomètres de piste pour y arriver, en chantant de plus en plus anxieusement la prière ci-dessus, qui signifie : Mon Dieu est bon (quatre fois) Il est bon pour moi. Des centaines de villageois, venus on ne sait d'où, nous accueillent en chantant. « L'hôte est l'occasion de se réjouir » ; proverbe zaïrois). |