........................................................................................................................................................................................
SUAIRES

L'exposition Suaires est appelée à être itinerante

 

Exposition d’Helioks
du Jeudi Saint 1er avril au vendredi 3O avril 2010

 

En écho à l’Ostension du Saint Suaire en la cathédrale de Turin, l’église de la Madeleine présente dans la Salle Royale une exposition d’art contemporain : Suaires.

  Ces 22 suaires sont  une méditation sur l’essence de la peinture, tardivement venue à la toile de lin sur châssis après avoir utilisé les murs ou d’autres supports depuis l’âge des cavernes ; toile de lin qui constitue le Saint Suaire dont l’énigme a rejailli à l’aube du monde contemporain en 1898 quand une photographie révéla sur un négatif l’empreinte d’un Visage souffrant. Révélation et Résurrection sont aussi au cœur de tout vrai tableau, qui à maints égards est aussi une Cène. Empreinte d’un Véritable Homme ou peinture, le Saint Suaire nous offre encore et encore son mystère, bombe à retardement conçue pour la technologie et la science de notre temps. L’hypothèse la plus plausible est la suivante : le Saint Suaire serait la preuve de la Résurrection du Christ, Résurrection dont on ne sait rien, mais qu’on peut supposer nucléaire, avec une irradiation ayant photographié la toile ; un message pour aujourd’hui, que l’art avec sa vertu prophétique peut explorer  à son tour. Ne parle –t-on pas d’un Retour de la peinture? Mes suaires libérés de tout cadre, sont des empreintes de l’âme et même plutôt de quelqu’un, venu s’y déposer, ou alors  une espèce de sueur dont le mot est si proche, une sueur multicolore. Le symbolisme du tissage en constitue un autre aspect. Il manifeste par le croisement de la chaîne et de la trame, la valeur universellement attachée à l’image de la croix −  quoique le Saint Suaire fût tissé en chevrons , mais ceci est une autre histoire. L’idée de peindre sur de grands formats m’a été donnée lors de ma première exposition à la Galerie de la Bièvre : La Sainteté (2006- 2008). Un peintre venu me visiter m’y engagea ; et comme il écrivit  dans le livre d’or : peindre avec ses ailes,  j’ai continué d’y penser. Mais il fallait trouver de la toile de lin grise puisque je ne sais peindre que sur du gris. Nul tableau vierge dans le commerce ne m’offrait une telle toile ; ils sont tous blancs ou grèges. J’ai décidé de chercher du tissu gris et finis par le trouver quelque part au –dessous du Sacré Cœur. J’ai commencé à peindre,  presque toujours le vendredi, ces tissus de coton puis de lin  que je suspendais sur un fil avec des épingles à linge. Assez vite ils ont dû finir par m’apparaître pour ce qu’ils étaient : des suaires. J’ai songé d’abord à les encadrer  puis pour me conformer sans doute à leur mission de suaires, j’ai laissé la toile libre, où j’avais l’impression que l’intime venait s’allonger directement sans pinceau. Dans ma première exposition rue de  Bièvre, il était question du Suaire sur deux tableaux, l’un nommé Marie – Madeleine, l’autre Suaire, et  indirectement  sur un troisième intitulé le cheval blanc de l’Apocalypse.  Ajoutons que la première visiteuse fut italienne et venait de Turin où elle avait fait les Beaux Arts. Ce thème du Suaire autant par le fond que par la forme, est venu vers moi d’une manière si obstinée, qu’il s’est imposé d’en faire une exposition à la salle Royale,  une crypte de l’église de la Madeleine. Je l’ai conçue spécialement pour ce lieu, dont les murs voûtés et  les pierres évoquent les catacombes. La peinture bien malmenée ces dernières années a vu son acte de mise à mort prononcé par certains. Mais  elle est bel et bien là, et le sera toujours, comme les enfants spontanément le disent dans leurs dessins. Ces 22 suaires sont disposés en un parcours, un processus, un sens ; il me semble en tous cas. Marie- Madeleine que je suis allée visiter à la Sainte Baume l’an dernier dans sa grotte, fut une des premières à voir le tombeau vide du Christ, et ce Suaire dont un corps dématérialisé s’était échappé. Il était cohérent qu’elle m’attirât en ce sanctuaire qui lui est consacré. Le Suaire est donc preuve de la Résurrection, et même la seule ; mais au- delà de toutes les théories je peux simplement témoigner d’une chose : j’aime le Saint Suaire. La peinture portée à l’essentiel est l’agencement de toutes ces couleurs qui forment la Lumière. Les œuvres présentées içi sont partie intégrante d’un cheminement spirituel, même si le religieux de mes dessins est conçu au sens large, et les thèmes simplement ceux de la vie et de la mort, des fleurs,  des visages , et le style enfantin : des suaires d’enfance en quelque sorte où je livre mon monde. J’espère rejoindre un autre monde, de  grâce et d’harmonie, de vérité, hors du temps et de l’espace, où tout flotte, celui où les êtres sont satisfaits par leurs désirs dans un printemps chronique. Un de mes suaires  est entièrement couvert de mots écrits et entendus pendant l’exposition – matrice de  La Sainteté. Il s’intitule : Pour vous qui suis-je ? Un autre se nomme la sainteté de Mona Lisa. Un autre encore long de 4,37 mètres  sur 1 ,11 a pour titre le Saint Suaire. Je tiens à remercier Pierre – Jacques Goujon, organisateur des expositions à La Madeleine, et Mylène Vignon, critique d’art, expert en art contemporain, et commissaire d’expositions, qui par leur regard et leur écoute, leur délicate patience ont permis à ce projet d’éclore, d’une manière qu’on ne saura jamais mieux qualifier que de en temps utile. Son heure est venue et c’est maintenant. Nous n’imaginions pas il y a quatre ou cinq ans ou plus que cette Ostension du Saint Suaire adviendrait en 2010 à partir du 10 avril à Turin. Enfin je dois parler de cette montagne à laquelle toute cette affaire est liée et que je gravis depuis des années, celle du Carmel dans le Monde, dont  le patron est Elie, prophète annonçant la Venue du Christ et sa nouvelle Venue, Elie revendiqué d’ailleurs par Kandinsky, apôtre de la peinture intérieure. En comptant les suaires  que j’ai peints à ce jour je m’avise qu’ils sont 33 . Le Saint Suaire comme point de fuite de l’Histoire de la peinture.

 

...................................................................................Helioks

 

......................................................................vendredi   12 février 2010

 

----

Suaires selon Helioks
                                                      
                                                               par Yves Bernabeu ( écrivain et                           
                                                           chroniqueur à La Croix )

Imaginez une galerie de silence, sans soupirail, presque souterraine. Où sommes nous, dans les catacombes, dans un caveau ? En fait, dans une galerie d’art contemporain,  place de la Madeleine à Paris, en proie au manège incessant des voitures et au tumulte motorisé. Mais entrons donc, sous l’église de la Madeleine, salle Royale dans ce lieu de sérénité que les œuvres inspirent si puissamment.
« Suaires » c’est l’intitulé de l’exposition d’Helioks, une artiste qui exposa déjà à la galerie de la Bièvre sur le thème de la Sainteté. Le Suaire de Turin trouve ici une seconde actualité en une suite saisissante de peintures.
Avant d’avoir vu la moindre toile, on est d’abord frappé par l’adaptation du support au lieu. Des toiles de lin gris d’un mètre carré ou plus, sont suspendues, tels des étendards, le long d’une allée de pierre, voûtée. Murs minéraux, sorte de tunnel, rarement une galerie d’art aura mieux mérité son nom. Contemporaine, l’exposition l’est déjà en intégrant le principe de l’installation tant les œuvres s’accordent au lieu dont elles tirent parti tandis qu’elles le valorisent aussi. Du coup, il y a ici quelque chose d’une église pour ne pas dire de Lascaux. Il n’y aurait rien sur ces toiles que déjà prévaudrait le sentiment d’une réussite. Le tissu adoucit la pierre mais en toute fidélité avec sa qualité austère. Voilà donc ces voiles oscillant au vent léger des déplacements des visiteurs.
Et si l’on use des termes en vigueur dans le domaine de l’art, l’exposition est aussi de nature conceptuelle. Elle comporte une réflexion évidente sur la peinture. L’idée étant qu’à partir du Saint Suaire du Christ, d’autres suaires sous forme picturale sont possibles. Il est vrai qu’il est difficile de ne pas faire le lien entre le suaire de Turin et la peinture qui utilise aussi la toile de lin comme support. D’autant qu’historiquement, le Suaire commencera d’être exposé au moment de la naissance de la peinture sur toile. Le Christ a peint avec son corps entier sur la toile, avec sa vie et sa mort,  que ce soit sur ce tissu-là ou sur un autre. Mais la peinture n’est-elle pas toujours un suaire, elle qui ramène à la surface les choses, apparemment figées dans la figuration, pour qu’elles vivent en notre esprit ? Il y aurait donc là un certain retour aux sources de la peinture, sur le plan du sens, ainsi que le dit d’ailleurs l’une des toiles d’Helioks.
En tout cas, la séparation entre le mystère de ce qui est à représenter et l’acte pictural, est réduite au minimum d’épaisseur. Amincissement radical du rideau théâtral où les forces de l’ombre sont appelées à se manifester sur le voile. Presque rien pour que la magie opère, voile de prestidigitation (il faut bien peindre sur quelque chose), donc un voile en mouvement, pas de châssis, robe de bure de l’infini, du mystère.
On voit ce que le procédé permet ; parlons aussi des contraintes qui l’accompagnent. Il faut savoir que la toile était également flottante lors de l’exécution, elle n’était pas appliquée sur un support dur. Ainsi se dérobait-elle à l’appui du pinceau. Il s’agissait donc pour s’y poser de faire taire l’impulsivité et traduire sans le déranger ce qui était derrière. Donc pas de coup de fleuret, d’estocade, toute brutalité bravache eût fait fuir la délicatesse de ce qui était à saisir. Il fallait dessiner, peindre sur du fluide. Gageure semblable à celle de dessiner sur l’eau sans la troubler, en espérant que quelques signes y demeurent.
Eh bien, il en reste quelque chose. Et c’est le fruit de tout ce qui ne pouvait être dû, ni à la saturation de la surface ni à l’appui de la touche, donc peu, donc l’essentiel ; peinture non déclamatoire s’il en est. Simples effleurements ? Mais allez trouver effleurements plus déterminés.
On voit surtout des visages en méditation. En puissance et en grâce, têtes sans cou, de vrais tronçons de colonne qui nous disent quelle assise constitue la vie contemplative. Une tête de Christ émerge, traces de varech dégoulinant sur les joues, rescapé de tous les naufrages, par filiation cosmique, le divin se devant sans doute à quelque démesure. Un peu plus loin, sainte Thérèse d’Avila, bouche close, muette, des fruits délicats  en guise de lèvres, signe de plénitude, elle n’a plus rien à demander, elle a en esprit tous les sucs, en bouche tous les sucres. Un peu plus loin, une femme reçoit le fracas de l’annonce du 11 septembre en pleine face, ce qui semble lui briser des yeux de verre. Mais à quelques pas, de Mona Lisa on ne voit que les yeux clos et le sourire aux lèvres. Où est passé son visage ? Il a tout simplement disparu ou il s’est étendu au monde. L’extase ne saurait avoir de frontières et même pas de contours.
Trop de visages aux yeux fermés direz-vous ? C’est parce qu’ils savent. Ils n’ont rien à craindre du dehors, ces nouveaux-nés du dedans. Mais ne vous y trompez pas, ils sentent que vous passez.
C’est la vie intérieure comme elle va, à travers les âges et les gens, les mésaventures mystiques des uns et des autres, de vous et moi. Ce sont des moments de l’entreprise spirituelle au travers différentes images qui semblent se relayer, solidaires,  et nous encourager à faire de même.
En vertu de la fidélité au sentiment, pour l’auteur tout est bon. Le figuratif l’emporte mais il peut s’acoquiner avec l’abstraction, des effets fantastiques ou délicatement décoratifs. Mais il s’agit alors de facéties qui nous rapprochent de cette galerie de héros de la sainteté. Et les couronnes, aussi naïves que celles des galettes des rois sur les têtes, sont des traits d’humour qui approfondissent la tendresse pour les êtres. Autant de doctes personnes qui ne donnent pas de leçons mais qui proposent un état libéré. Et puis, il y a de saisissantes proximités sur un même visage, des à-plats d’or, comme torchés à la serpillière, qui nous secouent, qui nous inquiètent, compensés par de légères, tranquilles et précieuses lignes au stylet qui nous disent que la beauté veille.
En quatre traits nous aurons un homme « Papa » dont la canne qui le porte est devenue un membre. Parfois des signes ont l’air de se balader dans l’océan de la toile, ils s’interpellent et sont en résonance. Malgré les vides entre eux, ils sont à bonne distance, ils ont la bonne forme, la juste couleur, la juste taille pour cela, installés qu’ils sont par le doigté le plus sûr.
La résurrection peut faire question. Ici, on sera sûr au moins de contempler la peinture en pleine vie. Parcourons donc cette allée au pas retrouvé du promeneur contemplatif. La destination est inconnue et bien que le parcours ne compte qu’une trentaine de mètres, le voyage pourrait être sans fin. Libre à nous de poursuivre en nous retrouvant place de la Madeleine. Je ne sais si vous en sortirez plus chrétien mais en tout cas frappé par la poésie du christianisme. C’est une exposition qui fait quelque chose de nous. Et si vous avez l’impression de sortir par un autre endroit que celui par lequel vous êtes entré, il n’y a rien là que de normal. C’est vous qui aurez changé, vous serez un soupçon plus libre.